REVEIL ET OMBRES CHINOISES

L’expression «entre chien et loup» est associée au crépuscule. Mais au lever du jour, on trouve la même indistinction, la même confusion.
Lumière naissante et ombres sont encore agitées de couleurs oniriques. Suspens figé où tout s'est déjà métamorphosé. Les loups trainent encore autour des bois et côtoient d'inoffensifs chiens assoupis.
Mon réveil connaîtra ce moment d’hésitation. Les ombres chinoises de mes rêves et son cinéma coloré s’effilochent comme des nuages emportés par le vent.
Une sculpture venant de la Chine ancienne reçoit les premières lueurs. Cet objet vient de la maison de mon enfance, il trônait autrefois curieusement sur la télévision familiale. Celle-ci faisait partie du mobilier, au même titre que la table, les fauteuils ou le canapé. Ce très ancien dormeur chinois, très finement sculpté dans un bois dur et merveilleusement poli, remarquablement conservé, était posé à côté de l'antenne mobile qui était installée sur le dessus de cet appareil télévisuel. On réorientait l'antenne selon les variations et les brouillages cathodiques.
Mais que faisait là cette sculpture antique sur une télévision? l'énigme était telle qu'il fallut lui attribuer une fable. Sa présence aurait eu une fonction bien précise. Le personnage filtrait, endormi et avec ses propres rêves, les évènements télévisuels du soir trop saturés d'images, de sons et de sensations fortes multiples. Ainsi le sommeil pouvait advenir pour chacun d'entre nous. Nous pouvions alors entrer en douceur dans notre cinéma intérieur des rêves.
Cette sculpture, dont j'ai souhaité hériter avec la bienveillance de mes frères, a trouvé sa place chez moi au-dessus du lit et continue son travail de veilleur et de filtreur pour un endormissement en douceur.