Emanuele Coccia ("Une vie sensible", "La vie des plantes", "Métamorphose", "Le Bien dans les choses", "Philosophie de la maison", ses chroniques dans le journal Libération etc.) est un philosophe qui rencontre un succès grandissant. Son érudition, sa précision, ses thématiques, son authenticité ont rendu ses livres célèbres. Au travers de nombreuses invitations ou interview qui sont accessibles sur le net, on prend conscience tout d'abord d'un phénomène, il a ce qu'on appelle : une voix. Qu'est-ce qu'"une voix" ? C'est ce que les coachs vocaux appellent une signature vocale unique. Elle vous met en éveil, on est capté. De plus, son multilinguisme parfait, du moins en français, surprend. Mais il y a quelque chose d'encore plus caractéristique. C'est la qualité de l'interlocution qu'il crée entre lui-même et l'autre. Quand il dialogue, il n'y a ni ego, ni façade sociale. Seule semble compter une transmission qui serait liée non seulement à tout son être propre, mais aussi à celui de l'autre.
Je prends un exemple. Une soirée appelée "L'arbre à palabres" à Bordeaux, en 2021, l'associera à l'architecte Philippe Rahm https://youtu.be/rsBIC1dirOc . Ce dernier exposera ses expériences architecturales et ses recherches historiques sur la végétalisation urbaine. Est-il si judicieux que ça d'introduire la nature dans les villes en plantant des arbres? Or, Emanuele Coccia est sensible à l'introduction des forêts dans la ville. Plus précisément, il admire les célèbres tours arboricoles de Milan, oeuvres de l'architecte Stephano Boeri. Il y voit une manière de réintroduire dans la ville et l'habitat une hybridation interespèces entre des espèces humaines, végétales et animales.
Philippe Rahm a déjà problématisé cette démarche et tempéré cet enthousiasme. Ainsi, ils cheminent, l'un et l'autre, ce soir-là, séparément et en parallèle en quelque sorte. On cerne leurs oppositions, on les découvre au fur et à mesure de leurs exposés. Mais petit à petit, il se crée pour le public, une drôle de sensation. Notre arbre à palabre agite ses branches et ses feuilles. Car l'interlocution crée entre eux comme "un tiers-lieu". En effet, il sera moins question des arbres puisque c'est l'atmosphère, c'est l'air et le vent dans la ville qui s'invitent. Bref, ce "tiers lieu ", issu de leur rencontre ponctuelle, a un nom. Il s'appelle, selon un concept qui est actuellement un grand propulseur d'experimentations écologiques pratiques : "Le Commun". Ce "Commun" qui s'avance ainsi ce soir-là a lui-aussi un nom, c'est : le "respirable". Et c'est ainsi qu'ils créent tous les deux du respirable au sein même de la soirée. Le public ne s'y est pas trompé et pourra enrichir à leur tour le dialogue. Magique !
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