Le masque, empreinte du visage faite sur le vif ou le mort : un passage qui trouble les frontières.
En occident, l’empreinte traditionnelle par contact direct sur le corps ou le visage, qu’elle soit prise sur le vif ou sur le mort, semble avoir disparu. Mais les nouvelles technologies n’ont pas totalement effacé l’intérêt porté aux portraits mémoriels par contact. Ce sont d’autres gestes et d’autres matériaux. L'attention aux traces, à la mémoire, à l'au-delà et l'en-deçà de l’image, à son engendrement, subsistent. Par contre, le côté terrifiant du procédé ancestral du moulage pratiqué directement sur le visage ou sur le corps - vif ou mort - est comme domestiqué, normalisé. La crudité, voire la cruauté de notre mortalité disparait. Il n'y a plus cette beauté effrayante, énigmatique et touchante de l'éternité, de son indicible. Dans un masque sur le vif ou sur le mort, le pus perturbant est que le vivant et le mort sont conçus pour être au plus près, et notamment dans la même temporalité. Le vif ressemble alors au mort, le mort au vif. Les travaux de l'historien d'histoire de l'art, Georges Didi-Huberman, précise la question en montrant que dans l'empreinte, il n'y a ni évolution ni destin, ni patrimoine, ni transmission. Le masque mortuaire ou moulé sur le vif est donc un pur sémiophore. Il porte le passage du visible à l'invisible, sans aucun message. C'est son côté magique et magnétique, qui en fait un fétiche. Pour représenter l'invisible, on perturbe la temporalité en lui donnant une profondeur spectrale.
L'empreinte, une fois faite ne sera généralement pas manipulée, d'ailleurs elle ne subit pas d'usure. Elle est offerte au regard, parfois touchée, caressée, ou embrassée. Elle ne sert apparemment à rien, elle n'a qu'une fonction, celle d'être exposée. L'objet compacte ainsi le temps dans une parfaite synchronie, là où présent, passé et infini sont offerts à une visibilité. On a donc une sorte de visage/tombeau dont le but est de conserver une âme vivante. Mortalité et éternité ensemble.
Faire l'expérience d'un moulage sur son propre visage, selon des techniques anciennes, lors d'un atelier, suscite un étonnement peu confortable et anxiogène, à la fois dans son processus, long et impressionnant, que dans son résultat. Mais cela constituera pour moi un véritable laboratoire réflexif qui perdure encore.
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